Psychologie et maintien à domicile : le regard de Véronique Cayado sur les besoins invisibles du grand âge
Véronique Cayado, vous êtes docteur en psychologie, responsable d’études au Lab Autonomia et membre de la Société française de gériatrie et gérontologie, spécialiste du bien vieillir.
En France, les personnes de plus de 65 ans vivent à plus de 90% à domicile. On parle de plus en plus de l’adaptation de l’habitat dans la mise en place d’un maintien à domicile réussi, avec par exemple l’installation d’un monte-escaliers ou d’une salle de bain sécurisée. Peut-on envisager le maintien à domicile d’un point de vue psychique ?
Je dirais qu’il serait bien malheureux de faire autrement. C’est un tout. Les besoins affectifs, d’appartenance, de reconnaissance, d’estime de soi, spirituels, autrement dit tous les besoins psycho-sociaux qui caractérisent l’essence de l'être humain, peuvent évoluer avec le temps et les périodes de la vie, mais ils n’en sont pas moins essentiels pour vivre même aux âges les plus avancés.
Ne pas considérer ces besoins revient à considérer les plus âgés comme des objets de soin et d’attention, et non plus comme des êtres humains à part entière. On les chosifie. On veille à leur sécurité physique, à leur hygiène de vie, comme si cela était prioritaire sur tout le reste. On peut tout à fait entendre que dans certaines situations, cela soit un préalable nécessaire. Néanmoins, l’attention à la sécurité physique ne peut pas se faire au prix d’un déni des besoins psychosociaux élémentaires.

Les aménagements visant à sécuriser le domicile s’avèrent beaucoup plus efficaces quand ils partent des habitudes quotidiennes des personnes.
Au-delà même des enjeux de consentement et d'assentiment, se pose la question de l’implication de la personne dans les choix qui la concerne. Les aménagements visant à sécuriser le domicile s’avèrent beaucoup plus efficaces quand ils partent des habitudes quotidiennes des personnes et de là où elles se sentent effectivement en insécurité ou en difficulté pour poursuivre leurs activités.
En 2014, nous avions mené une étude qualitative auprès de personnes âgées sur la perception des risques à domicile et des aménagements possibles[1]. Il s’agissait de personnes plutôt sensibles à la démarche de prévention qui avaient répondu positivement à une proposition de leur caisse de retraite complémentaire pour faire réaliser un diagnostic de leur domicile. Pour autant, même chez ces personnes soucieuses de prévenir les risques domiciliaires, nous avons pu observer des mécanismes psychologiques de relativisation du risque (oui le risque existe mais je fais attention, je prends mon temps, je connais mon domicile, etc., donc je ne risque rien) et de mise en balance avec d’autres intérêts notamment identitaires et de valorisation de soi. Untel ne souhaitait pas de rehausseurs sous son canapé pourtant trop bas car il était amené à recevoir du monde dans le cadre de son engagement associatif et ne voulait pas que cela se voit. Une autre refusait les barres d’appui dans sa salle de bain car cela lui renvoyait une image trop hospitalière qu’elle refusait chez elle. Un couple, encore, refusaient d'installer du scotch double face sous leurs tapis du salon car quand ils recevaient leur famille, ils réaménageaient leur espace pour l’adapter au nombre de convives.
Donc oui, je dirais que la poursuite de la vie à domicile implique nécessairement de prendre en compte le bien-être psychologique des plus âgés. Ce qui passe nécessairement par la prise en compte de leurs besoins psychologiques et sociaux, ainsi que par une attention soutenue à ce qui est important à leurs propres yeux.

Comme cela est proposé aux résidents des institutions, existe-t-il un accompagnement psychologique spécifique pour les aînés qui ont choisi de vieillir chez eux ?
Certaines caisses de retraite peuvent proposer du soutien psychologique pour leurs adhérents, mais pour répondre plus précisément à votre question, il me semble important de distinguer deux aspects.
Le premier relève de la santé mentale, grande cause nationale de 2025. Pendant longtemps, les troubles anxieux, addictifs ou la dépression chez les personnes âgées n’étaient pas un sujet de préoccupation. Pour le dire autrement, c’était un non-sujet.
De nombreux travaux ont ainsi montré une sous-évaluation par les professionnels soignants des symptômes dépressifs chez la personne âgée, en raison pour partie d’une symptomatologie plus complexe à diagnostiquer, mais aussi en raison de nos représentations de cet âge de la vie.
Dès lors que l’on considère les états de tristesse, de désengagement ou d’apathie comme faisant partie de l’ordre des choses et pour lesquels il n’y a rien à faire, on a moins tendance à engager une démarche de changement vers un mieux-être.
Il y a manifestement une prise de conscience de ces écueils et une volonté de mieux accompagner les plus âgés sur ces problématiques, avec notamment des formations sur la santé mentale des seniors qui se développent auprès des professionnels du secteur. Néanmoins, on est encore aux prémices de cette prise de conscience.
L’autre aspect important concerne le travail psychique du vieillir. En vieillissant, les personnes sont confrontées à de nombreux changements. Des changements physiques, le corps change, les capacités évoluent, et cela a un impact sur l’image que l'on a de soi, ainsi que sur ses activités au quotidien et ses habitudes de vie.

A ces changements physiques s’ajoutent également le regard des autres sur soi qui change, la perte de proches de sa génération, etc. Bref, il y a plein de choses qui s’accumulent et qui sont autant de transitions ou de points de rupture dans la trajectoire d’une personne âgée. Tout cela bouscule psychologiquement : c’est la fin de quelque chose, l’abandon d’un mode de vie. Cela génère des émotions complexes (colère, angoisse, désespérance…), ainsi que des mécanismes de défense. Il y a donc un temps psychique, par nature propre à chacun, pour faire face à tous ces changements. Là aussi, la compréhension de ce travail psychique du vieillir est importante quand on accompagne des personnes âgées à domicile.
Dans quelle mesure la santé mentale impacte-t-elle le bien vieillir ?
Je dirais que c’est totalement indissociable. Il faut bien voir que le corps et l’esprit ne sont pas deux entités distinctes. Les maux physiques et les maux psychologiques sont interdépendants. Aussi, les souffrances psychiques peuvent être à ce point intenses qu’elles remplissent tout l’univers de la personne (troubles anxieux, dépression, apathie, etc.), avec les conséquences que l’on connaît en termes de perte d’autonomie et de décès prématuré. Sans aller jusqu’à des troubles de santé mentale, l’isolement et le sentiment de solitude sont des facteurs de risque importants pour la santé et l’autonomie des personnes âgées. Mais sur tous ces aspects, il est possible d’agir. Ce n’est pas parce qu’une personne est âgée qu’on ne peut rien faire contre la souffrance psychologique.
On ne peut pas prévenir toutes les maladies ou la baisse des capacités fonctionnelles sur un temps long, mais on peut essayer de préserver ou de reconstruire des espaces de bien-être.
Comment développer le lien social quand on avance en âge ?
Nous sommes des êtres sociaux. Nous avons besoin de contacts physiques, de reconnaissance sociale de notre existence. Nous avons besoin de ressentir que l’on compte pour quelqu’un, tout comme de ressentir que l’on peut compter sur quelqu’un. Selon la période de notre vie, ces besoins s’expriment de manière différente, mais ils ne disparaissent pas en vieillissant.
Je ne sais pas s’il faut développer le lien social mais nourrir ce besoin, oui. Au début de la retraite, les gens le font plutôt spontanément en se tournant vers des activités bénévoles, en s’inscrivant à des activités culturelles, sportives ou autres. Souvent aussi, ce besoin est nourri au sein de la structure familiale, les grands-parents intervenant en soutien dans la garde de leurs petits-enfants.

C’est plus avec le temps, quand des difficultés de mobilité apparaissent, avec parfois un sentiment d’insécurité, que les opportunités se raréfient. Il devient à ce moment-là plus important de soutenir la personne, en cherchant des occasions pour elle d'interagir dans le cadre d’activités qui répondent à ses intérêts et à sa personnalité.
Quels conseils pour les aidants familiaux qui souhaitent entourer au mieux leur parent pour éviter l’isolement social ?
Il n’y a pas de recette toute faite, ce qui n’empêche pas de tester des choses. Il existe des possibilités souvent méconnues qui vont des visites de courtoisie des jeunes volontaires du service civique à des professionnels de la socio-esthétique qui peuvent se déplacer au domicile des personnes. A moins que le plaisir ne se situe dans le fait de sortir de chez soi pour aller chez le coiffeur par exemple.
Si les proches ressentent un certain isolement de leur parent, ils peuvent essayer de s’appuyer sur ses zones d'intérêts pour proposer une activité. Il n’y a pas d'activité “lien social”. Tout peut servir d’occasion pour nourrir ce besoin de lien. Les aides à domicile en tant qu'acteur de proximité par excellence jouent un rôle important à ce niveau-là, par leur présence au domicile, mais aussi dans leurs accompagnements aux activités à l’extérieur du domicile.
[1] Cayado, V. & Chahbi, R. (2015). La perception du risque d’accident et de chute par des personnes âgées vivant à domicile : un arbitrage complexe ? Neurologie - Psychiatrie - Gériatrie, 15(88), pp.194-199.

Vous souhaitez en savoir plus ?
Cliquez ici pour recevoir votre brochure et ainsi découvrir la plus large gamme de monte-escaliers.